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La Chapelle Romane

Je suis sensible à la perfection de l’art gothique. Il a été créé pour séduire et il remplit à merveille sa mission. Je suis transporté par la formidable ascension de ses colonnes insensées, des pièges de l’âme contrainte, par le regard, à s’élever vers les cieux. Installez-vous au centre d’une cathédrale et cherchez des yeux la voûte d’ogives, ce qui vous oblige à projeter la tête en arrière, et vous sentirez que vos pieds appuient moins sur le sol, comme si, seule, la gravité de votre corps, vous empêchait de prendre votre envol.
Mais je me sens plus proche de ces chapelles romanes, basses et bien plantées dans la terre, issues de la matière, sans clocher, ou si minuscule, comme une aspiration – un désir d’âme – vers le ciel.
Je les aime ces chapelles romanes qui paraissent toutes en voûte, presque sans verticales, avec des murs très épais et peu d’ouvertures, elles-mêmes très petites. Une seule porte, difficile à trouver tellement elle est basse, voûte dans la voûte.
Elles ne sont pas comme leurs prétentieuses sœurs gothiques en habit du dimanche, toutes parées comme des pharisiens, qui vous font de grands signes de loin avec leur clocher qui se monte le cou d’un air de dire : 
« Admirez comme je suis belle ! »
Ces églises-là, je les trouve un peu trop raides, trop corsetées d’arcs boutants et, en même temps, trop ouvertes sur l’extérieur. La ferveur s’échappe de partout et la futilité du monde pénètre trop facilement par toutes ces ouvertures. Oh, elles sont accueillantes mais, à l’intérieur, il n’y a que du vide ( Existe-t-il un intérieur, tant la barrière est mince et ajourée ?)
Les églises gothiques sont trop mondaines -tout pour la parade- Elles attirent davantage l’œil et, tout de suite, provoquent de l’intérêt ; Mais ne sont elles pas comme de jolies femmes, un peu trop maquillées, un peu trop élégantes, un peu trop chargées de bijoux, dont l’excès dans la parure va à l’encontre du but recherché ?
Les chapelles romanes, par comparaison, sont comme de grands blocs de
pierre froide, lisse et austère. Elles paraissent impénétrables, tant étroite est la porte et tant est épaisse est la paroi.
On ne passe pas instantanément de l’extérieur à l’intérieur, il y a un passage important à franchir, comme un couloir, qui donne une notion de durée et une signification à ce passage. On ne pénètre pas par hasard et sans s’en rendre compte ; Il faut effectuer un trajet, un acte volontaire.
L’intérieur est bas, sombre, mais, quand l’œil est habitué, les murs apparaissent richement décorés, les couleurs vives -vivantes même- chaudes La voûte, à la dimension de l’homme, est, tout de suite, pleine de la prière qui se répercute sur toute cette courbe, se referme sur elle-même et se concentre, prend une densité, une épaisseur, une force énorme, presque palpable, décuplée par la pression des parois.
La simple et unique lumière d’un cierge se réfléchit sur la voûte, fait scintiller les ors et les velours et ne pouvant s’échapper, renvoyée sans cesse au centre, se focalise, devient brillance et chaleur -mais chaleur vraie, qui brûle.-
Au milieu de l’autel, les échos et les rayons se concentrent au point de convergence de toutes ces forces, le tabernacle, creuset, fournaise où, dans une étrange alchimie, se mêlent les colonnes sonores et les épées de lumière, au catalyseur qu’est la formidable dynamique spirituelle de la prière, pour l’accomplissement des mystères.
Bergère solitaire, sauvage au milieu des champs, isolée et protégée à la fois par la nature, tu es ma chapelle romane. Tu n’as pas cet aspect léger, frivole, artificiel et ouvert à tous qu’il est de bon ton d’avoir aujourd’hui. Tu es ancrée fermement en terre avec, bien sûr, une certaine inertie au vent changeant et capricieux de la mode que d’aucuns prennent pour de la lourdeur.
Tu es solide sur tes hanches raides et dures, étroites et rondes comme une abside, présence rassurante, bienfaisante et accueillante réalité. Tu es lisse comme la pierre nue patinée par le temps et tu ne dois ta beauté qu’à la pureté des lignes à peine esquissées, de ton corps sans angle aigu.
Tu n’as pas la prétention d’avoir un clocher qui s’élève très haut, mais c’est orgueilleuse humilité car ton esprit sonne juste et clair.
Je sais, bergère solitaire, que, repliée sur toi-même, monolithique, bien close, tu n’es surtout pas vide ou parcourue de courants d’air, mais qu’en toi, le silence est signe de paix, de richesse cachée, que tu recèles une force intérieure, prête à vibrer, qu’une chaleur est en toi, même si la lumière n’en transparaît pas.
Tu me plais, ma chapelle romane. Je t’aime ainsi et tu m’attires. Je veux m’approcher de ton seuil difficile à franchir et te mieux connaître. Flamme vacillante et incertaine comme celle d’un cierge, je veux exalter ta lumière. Humble voix et petite musique perdue, je veux faire vibrer tous les échos en toi. Ma chapelle romane, je veux découvrir tes richesses secrètes et me nourrir de leur vraie valeur. À la mesure de ta pureté originelle, je veux me débarrasser de tout ce que je croyais indispensable et que tu fais apparaître sans importance. Je veux retrouver l’essentiel et puiser ma force et ma chaleur en toi.
Alors, révélé à moi-même, transporté d’amour et lourd d’inquiétude, je veux atteindre, au centre de l’abside, ce tabernacle vers lequel tend mon désir et où j’entrevois déjà la certitude d’un bonheur céleste.