Tous droits réservés - Création Site - LEBOURDIER © 2015


Respublica Gallica
(République française)

Après lecture d'un article de Jacques Gaillard (Université de Strasbourg, journal "Le Monde") qui fit surgir des souvenirs de cours d'Histoire et de "Gaffiot". Ces lignes pour rappeler qu'à l'heure où, au nom de la Démocratie, on revendique "tous les droits" sans contrepartie, les Français ont tendance à oublier qu'ils vivent en République. Une et Indivisible ! Nuance.

          La démocratie est grecque                     La république est latine
     Demos Kratos = pouvoir du peuple        Respublica = chose publique

Depuis l’antiquité la différence existe.
La démocratie d’Athènes avait de superbes règles. La réalité était de moindre valeur. Elle ne fonctionna vraiment que peu de temps (moins de deux siècles) et surtout très partiellement.
Le peuple (Démos) prend –en principe- toutes les décisions politiques en « assemblée générale » chacun ayant le droit à la parole et étant égal devant la loi. Mais cette démocratie était très restrictive, ethnique (les seuls habitants d’Athènes et il fallait avoir deux parents citoyens !) On parlerait aujourd’hui de préférence nationale. En outre on désignait les magistrats par...tirage au sort !
Qu’importent les imperfections, les Grecs furent les premiers à avoir posé ces principes de pouvoir du peuple et à les appliquer.
A Rome, le peuple a, en théorie, encore plus d’importance puisque la république lui appartient. C’est son bien, sa « chose » (res)
En réalité le peuple partage le pouvoir avec le Sénat, cependant il garde le dernier mot puisqu’il sanctionne les lois. Mais ce système qui a pour principe le refus de laisser le pouvoir échapper au contrôle du peuple romain est, lui aussi, très inégalitaire. Il durera 5 siècles : 539 à 31 av J.C.
La Res publica finira en Imperium (qui durera lui, de –27 jusqu’en 476, mais, même l’empire romain est marqué par le régime précédent et garde un caractère républicain en particulier l’extension de la citoyenneté à ses alliés et à tous les hommes libres de l’Empire (Édit de Caracalla, an 202) Le génie de Rome est d’avoir choisi « l’intégration » mot moderne,au lieu de se recroqueviller sur le droit du sang, l’exclusion ethnique. Même les esclaves pouvaient être facilement affranchis et devenir citoyens romains.
12 siècles de croissance, de civilisation, de métissage culturel (Le romain adoptait volontiers ce qu’il trouvait bon chez les autres peuples) ont « fabriqué » l’Europe. C’est avec la nostalgie de Rome que les Européens, après l’inextricable superposition des vassalités du Moyen-Âge, ont, au siècle des lumières, tenté de se dégager de ce clanisme archaïque et de laïciser plus ou moins bien le pouvoir politique.
La Révolution de 1789 est hantée par la République romaine. C’est l’obsession de la citoyenneté qui a conduit à l’abolition de la monarchie afin de transformer le « sujet » en « citoyen ».
Les bourgs intégrés à l’espace géographique romain étaient désignés sous le nom de « municipium ». Ils conservaient leurs magistrats, leurs lois internes, leurs usages. La municipalité vient de cette aspiration des communes à revendiquer leurs propres institutions sous l’égide de Consuls, Capitouls ou Bourgmestres et autres édiles. Elle est de culture latine. Le grand problème est de concilier aujourd’hui les exigences de la démocratie et celles de la République.
En un mot, la démocratie se contente de définir et de garantir les droits essentiels de chacun, de quel ordre qu’ils soient (historiquement leur domaine s’étend sans cesse). Au nom de la démocratie, en grossissant – à peine - le trait, on peut octroyer le droit à chaque groupe qui se réclame d’une origine géographique, d’une ethnie, d’une langue, d’une religion etc... de mettre en avant et de cultiver sa spécificité – et donc sa différence - sans prendre en compte les autres et de prospérer ainsi comme dans un « tiroir » particulier dont il peut ne jamais sortir. Cela génère une société ou chaque individu obtient le droit de ne jamais s’extraire du tiroir dans lequel il s’est volontairement enfermé, seul ou sous la pression de son « clan » ou bien dans lequel on l’a « classé ». Il peut difficilement changer de tiroir empêché qu’il est par l’opposition de ceux qu’il quitte et par l’hostilité de ceux qu’il voudrait rejoindre puisqu’il n’est pas « comme eux ! » Une société de « tiroirs » qui ne communiquent pas, s’ignorent et finissent par s’opposer et dans laquelle il est plus facile de cultiver ce qui « désintègre » que ce qui « intègre ».
L’ambition de la République est bien autre, c’est le bien public. C’est important car alors,l’efficacité de la république ne se mesure pas seulement en terme de prospérité globale, de réussite économique, d’ordre public. Le bien public ne peut pas être uniquement la somme des intérêts particuliers de personnes ou de communautés puisque, par définition, le peuple possède l’État et n’est pas seulement une espèce d’ayant droit subalterne des bénéfices qu’il engendre.
La relation entre le citoyen et la République ne doit pas être celle qui existe entre un « client » et un prestataire de service. Héritage de la Res publica romaine, notre culture politique qui sépare l’espace « public » de l’espace « privé » a favorisé d’abord une réticence à légiférer sur les conduites privées -ce qui est l’obsession des démocraties puritaines qui amalgament volontiers le délit avec le péché- ensuite le refus de la ségrégation ethnique, puis (et surtout) une conception positive de la laïcité. La laïcité n’est surtout pas une tolérance* molle, sans vigilance, ouvrant la porte à tous les particularismes et donc à tous les excès mais la garantie pour chacun de pouvoir pratiquer librement sa religion à titre privé et dans des lieux de culte destinés à cela mais aussi la garantie, pour ceux qui le veulent, de vivre sans aucune référence à la religion.
Il ne faut pas s’étonner si nous, Français, avec notre République toute imprégnée de Rome sommes souvent en discorde, incompréhension et parfois proches de la rupture avec la démocratie partie d’Athènes pour s’incarner à Washington. (Et qui tend, là-bas, à virer grave à l’Imperium !) Au moment du débat sur les futures institutions de l’Europe, ou chaque pays devra s’intégrer dans un espace commun soumis à une loi commune, la France se singularise par son attachement à « sa » république. Les autres pays ont des difficultés à donner à ce mot le sens que lui accordent les Français. Et ils nous trouvent...pas assez démocrates ! Peut-être qu’une Europe avec des vertus républicaines vivrait bien mieux ses différences et réaliserait plus facilement son unité.
Pour ne pas polémiquer je n’évoquerai pas les nombreux pays où il n’est de loi que celle du Dieu ayant cours sur la place ou celle du plus fort (quand les deux ne s’associent pas !) et où - pas question d’être citoyen - ! On ne peut être que « sujet » ou « fidèle » (Ou les deux, quelle chance !)
                                                                   M.V.
*Un Édit que l’on disait aussi de tolérance, rendu par Henri IV se termina tragiquement dans le sang car la tolérance dure tant que le plus fort y consent. On devrait lire plus souvent La Fontaine.