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La Trève
    (Esprit frappeur) *


La maison de Corbès dans les Cévennes est bien isolée cependant, de là on peut voir le Dansadou qui est curieusement, le plus joli nom de lieu qui se puisse imaginer pour désigner l’emplacement d’un temple. Cela me fait penser à des negro-spirituals sur les bords du Mississipi. On imagine mal les austères cévenols adeptes de la réforme danser, en sabots et endimanchés, sur les bords du Valaurie. Le rythme des psaumes ne se prête pas à ce genre de manifestation.
Le Valaurie est le ruisseau qui coule dans le valat, étroit et encaissé, entre le temple et notre maison. Capable d’énormes colères qui le font, avec un rugissement sinistre, se précipiter follement dans une succession de cascades, il est à sec une grande partie de l’année. J’aime bien ce nom : Le Valaurie, peut-être y avait-il de l’or autrefois ?
Les noms sont jolis dans le coin : Outre le Valaurie et le Dansadou, on trouve l’Euzière, la Planquette, l’Orange.
Curieusement notre maison n’avait pas de nom et, pour l’instant encore c’est, tout bêtement, la maison de Corbès.
Le Dansadou, c’est le temple, plus la maison de Fanny et de Louis. Louis c’est le berger, celui qui traque « Monsieur le Renard » en plein jour avec un bâton. Et qui ramène triomphalement « Monsieur le Braconnier » qu’il a estourbi d’un coup de gourdin.
- En quelle année, demandez-vous ?
- Mais, de nos jours !
- Cela existe encore ?
- Bien sûr !
La chasse au renard de cette manière c’est de l’art, une science de la nature, du terrain, du vent, de tout l’environnement - et une connaissance subtile du comportement de l’animal - digne d’un Sioux ! (Pourquoi diable vais-je chercher un Sioux, un Cévenol, c’est quelqu’un !)
Quand on dit : « Monsieur le renard » c’est qu’on le respecte même si on le tue, car « Monsieur mon braconnier » autre nom qu’il lui donne, mange ses poules. C’est un combat à la loyale, un vrai duel à armes égales. Oui, à armes égales même si cela vous semble inimaginable et en tout cas, un combat perdu d’avance pour vous dans de telles conditions. Mais vous n’êtes pas Louis.
Comme dans le western, l’adversaire, on est résolu à le tuer mais on est conscient de sa valeur, cependant la place est trop petite pour deux. Alors, le tuer parce qu’on le redoute, c’est le valoriser bigrement et l’emporter sur un adversaire si valeureux, c’est justifier le droit d’occuper, seul, la place. Voilà, c’est simple, sur son territoire, Louis ne peut tolérer «  Monsieur mon braconnier. »
Cependant aller l’affronter ainsi, sur son terrain et sans arme à feu, c’est vraiment lui donner sa chance. Le renard il ne donne pas de coups de bâton, mais il est sacrément rusé (Renard rusé, c’est presque un pléonasme) il mord et…il court vite ! Essayez seulement, d’en découvrir un en plein jour !
J‘ai vu Louis faire la même chose avec un lapin. Comme ce lapin venait, de nuit, tirer les jeunes pousses de salade de Louis, il était devenu : « Monsieur mon jardinier » ! Or ce n’est pas un homme à plaisanter avec son jardin, Louis. Il avait mis des pièges mais… il l’avait manqué ! Tout arrive… les pièges de Louis sont, au moins, centenaires !
Son jardin est situé au bord du Valaurie, entre le Dansadou et notre maison à un endroit où la gorge s’élargit assez pour dégager un espace, pas bien grand, mais suffisant pour y installer un jardin de cévenol. Il est alimenté en eau par les « gours » du ruisseau et par une petite résurgence captée dans une anfractuosité de rocher profondément creusée pour aménager un réservoir.
À l’entendre jurer un matin devant un peu de « bourre » entre les mâchoires du piège, je me suis approché. Il ne décolérait pas en me montrant le piège vide. Soudain il a vu (moi, non !) le « jardinier » dissimulé sous un chou. Il faut préciser que le jardin n’est fermé par aucune barrière sur aucun côté. Eh bien, Louis a saisi le manche d’une bêche qu’il laissait « embuguer » avec ses autres outils dans un bassin destiné à recueillir l’eau pompée dans le ruisseau ou dans le réservoir creusé dans la roche et, s’étant posté à un endroit précis, m’a demandé d’aller au bout de la rangée des choux puis d’avancer lentement vers lui. Je n’avais pas fait quatre pas que « Monsieur mon jardinier » a déboulé pour, aveuglément et après avoir pourtant contourné la pompe et la brouette, venir tout droit dans les pieds de Louis !
…Feu, ! « Monsieur le jardinier. »  Un seul coup bien asséné a suffi.
- Encore un peu et il me cassait la jambe ! plaisantait Louis. Mes salades vont avoir le sourire !
Toujours de l’autre côté du ruisseau mais plus haut que la maison de Fanny et Louis se trouve l’Euzière et, au-dessous, il y a la Barthe ; plus loin, c’est La Planquette et, derrière le petit bois, l’Orange. Mais la nuit, ces maisons, on ne les voit pas.
À la maison de Corbès, jamais encore nous n’y avions couché.
D’abord il y avait eu une longue période de nettoyage, elle était inhabitée depuis si longtemps ! Tous les aménagements n’étaient pas terminés dans les pièces du premier étage où nous nous étions installés.
En bas, c’étaient de profondes caves voûtées et sombres avec des chauves-souris. En haut sous les toits, occupant toute la longueur de la maison, des magnaneries avec les rangées successives de claies prêtes à supporter les vers à soie et la ramée. Certaines fenêtres étaient encore fermées avec du papier et les volets, bizarrement, étaient percés de trous gros comme le poing et presque parfaitement ronds.
Passée l’exaltation du premier repas au coin de la cheminée allumée plus pour l’éclat de la flamme et les arabesques qu’elle dessine sur les murs que pour la chaleur, c’est l’épaisseur de la nuit qui nous surprit; En ville, il ne fait jamais nuit. Puis ce fut le silence ; En ville il y a toujours du bruit. La troisième surprise ne fut pas la moindre, ce fut d’être réveillés vers cinq heures du matin par de violents coups frappés, au volet ? À la porte ? La première fois dans une maison inconnue, on ne localise pas. La quatrième surprise fut de trouver…le vide, rien, personne devant la porte et autour de la maison !
Le soleil lançait tout juste un timide rayon par-dessus la montagne derrière laquelle il s’était maintenu caché jusque là, laissant, pour un temps encore, la maison dans l’obscurité. Le jour se levait.
Personne n’eut le cœur à se recoucher et le nettoyage reprit de plus belle. Il y avait tant de ronces récalcitrantes à enlever, mais tout le monde pensait à l’événement.
Les coups, réguliers, rapides et forts, nous réveillèrent en sursaut, les yeux au plafond ! Ils venaient « d’en haut » ! Sûr ! Nous n’avions pas rêvé tout de même ! Les enfants commençaient à se serrer contre leur mère ! Comme nous demeurions immobiles, hésitants – et sans vouloir le laisser paraître, un peu inquiets - les coups recommencèrent, toujours « en haut ! »
Je m’engouffrai dans l’escalier. À part les immenses toiles d’araignées alourdies par la poussière, rien ! Si au moins, j’avais découvert un voisin facétieux, entré par je ne sais où, mais rien ! Alors, que faire dans un cas pareil ? On réfléchit bien sur ! On passe en revue toutes les hypothèses :
La chaleur des premiers rayons de soleil sur la toiture, la dilatation, les poutres, les murs, les…les quoi ? et puis…on y vient immanquablement !
Les histoires des anciens, les maisons hantées, l’esprit frappeur, «  La Trève »
Et si la maison était hantée ???
Voilà pourquoi elle était inhabitée ! Mais quoi, on n’est plus au Moyen- Âge ! Et l’on n’allait pas déguerpir comme des lapins ! On l’aimait trop déjà, notre maison. Il faudrait donc s’habituer à vivre avec « Elle » ! Ouille, ouille, ouille !
Mais le troisième jour, le quatrième jour, le cinquième jour, à l’heure précise où le soleil franchissait la crête de la montagne, avant qu’il n’éclaire les tuiles de la maison : PAN, PAN, PAN,PAN, PAN, PAN, PAN, PAN !
Là-haut, à coup sûr c’était là-haut, résonnant dans ces immenses pièces vides, « La Trève » frappait ses séries régulières. Sur un volet ? Sur une poutre ? Et dès que nous étions debout, les fenêtres ouvertes, elle se taisait.
Nous étions résignés à cohabiter avec « La Trève ». Mais dans notre maison de Corbès, ne régnait pas la joie attendue.

- En quelle année ? demandez-vous ?
- Mais de nos jours !

Même Louis, interrogé toute honte bue, fut secoué d’un grand éclat de rire à l’écoute de notre histoire mais…il n’apporta pas la solution attendue. C’est presque soulagés d’abandonner notre maison de Corbès que nous repartîmes pour la ville.
Reviendrions-nous une prochaine fois ?

Tant pis, nous sommes revenus. Et Louis nous attendait avec la réponse à notre question. Il avait été intrigué lui aussi mais il avait accepté notre histoire et puis, toute la semaine, il avait bien observé, comme toujours, pour découvrir que la solution était bien celle qu’il avait tout de suite pressentie… et qu’il s’était bien gardé de nous donner avant d’en avoir la preuve. Et il avait trouvé ! C’était bien celui auquel il pensait, l’esprit frappeur !

- Je l’ai vue, votre « Trève » !!!
Il n’avait pas l’air effrayé
- Elle faisait tant de bruit, elle tapait si fort que je l’ai entendue d’ici et j’ai bien cru qu’on défonçait votre porte. Je suis allé voir et…………Devinez !
- ???????????????????????????????????????
- C’est « Monsieur le PIC VERT » !!!
Puis son grand rire sonore et rassurant couvrit nos cris de joie !

Nous n’avons pas osé baptiser notre maison : « La Trève ». Nos amis citadins sont facilement gagnés par l’inquiétude quand il s’agit de la campagne. Ils l’aiment disent-ils, mais ils ont peur d’à peu près tout quand ils s’éloignent de plus de quinze mètres de la maison ou d’un chemin, surtout lorsque l‘obscurité s’installe et ne permet plus de distinguer où diable se cache le danger qu’ils imaginent ! Ils auraient peur de venir nous rendre visite et surtout redouteraient de passer une nuit chez nous. C’est toujours la Maison de Corbès.

Mais nous avons gardé les volets troués.
Si jamais « Monsieur le Pic Vert » voulait revenir…………

Car, hélas, sans doute vexé d’avoir été découvert et déçu de ne plus faire peur, il est, depuis ce temps-là, allé frapper ailleurs.


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LA TRÈVE : C’est à elle qu’on attribuait toute manifestation, le plus souvent sonore, le plus souvent nocturne, d’origine non identifiée qui avait pour cadre, généralement, les maisons inhabitées. Mais la trève pouvait sévir dans les maisons d’habitations et, par extension de son domaine, à peu prés en tout lieu où se produisait un phénomène inexpliqué.
Lorsque ma Grand - Mère avait eu un sommeil agité, elle disait :
«  J’ai fait la trève toute la nuit ! » On disait la même chose de voisin bruyants qui faisaient du tapage nocturne.