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Recherche dans l'intérêt des familles

À l’intérieur de l’énorme vaisseau intersidéral, dans la salle des conférences, comme avant chaque intervention, le chef, debout, s’adressait aux responsables d’unités opérationnelles confortablement installés dans de profonds fauteuils.
Dans le HLM 2059, bâtiment 22, escalier D, 4ème étage, la table était mise devant la télévision. Trois assiettes alignées devant le poste déjà allumé.
Derrière le chef, tout un côté de la pièce s’ornait de clignotants, voyants lumineux, écrans de contrôle, le tout réuni à des super mémoires automatiques et instantanées, permettant d’illustrer – à volonté et dans l’instant - toute idée avancée par un participant.
À mesure qu’il parlait, l’image, la référence chiffrée, le texte ou quoi que ce soit de nécessaire à la démonstration et à la compréhension du discours, apparaissait sur l’écran, assimilé aussitôt par tous les autres, au regard étrangement lumineux (Comme un voyant lui aussi, une sorte de potentiomètre indiquant l’intensité de l’activité cérébrale.)
Dans le HLM 2059, bâtiment 22, escalier D, 4ème étage, la télévision fonctionnait très mal, l’image sautait sans arrêt, ce qui n’arrangeait pas du tout les choses. L’ambiance était très morose. Catherine se disputait avec ses parents.

Les propos tenus par le chef et mis en évidence sur les différents écrans étaient les suivants :
- Nous allons lancer une nouvelle opération pour recueillir des spécimens de l’espèce humaine. Nos laboratoires nous en demandent encore. Nous en avons besoin pour connaître tous les microbes et virus dont ils sont porteurs, afin de nous prémunir contre la contagion, mais aussi afin d’utiliser la formidable résistance acquise par certains individus qui vivent et prospèrent en milieu très pollué. Les Terriens nous étonnent beaucoup car ils semblent fuir les endroits non pollués qui sont désertiques et préfèrent se concentrer dans des lieux où la pollution serait mortelle pour nous.
Je vous recommande, comme toujours, d’éviter les contacts avec la population. Il n’est pas inutile de vous rappeler, une nouvelle fois, que la population de la terre n’est pas tout à fait prête à accepter nos pouvoirs et nos progrès. L’aborder de front serait la détruire entièrement. Nous devons donc, pour l’instant, la protéger. Mais nous protéger également ! Car les Terriens sont très agressifs. Et cela sans raison apparente ! Pour eux, tout est prétexte à agresser les autres :
L’argent, la religion, le commerce, l’idéologie. Ils parlent tous de paix et sont toujours en guerre. Ils sont tellement victimes de cette agressivité qu’ils en arrivent à faire une guerre…pour avoir la paix ! Et quand ils ont la paix enfin, ils préparent vite une autre guerre qu’ils déclarent dans le but, disent-ils toujours, de préserver la paix ! 
Sur les écrans, apparaissent des images de conflits meurtriers, tellement identiques qu’avec peine on pouvait identifier, sauf à quelques petits détails (Couleur de peau, végétation, etc…) l’Irlande, le Viêt-Nam, le Brésil, l’Angola, la France, le Chili, l’Algérie, le Cambodge, le Darfour, l’Érythrée, le Liban, la Palestine, l’Ethiopie, l’Afghanistan, des paysages tropicaux, des paysages désertiques, des paysages enneigés.
-Arrêtons la démonstration, dit le chef. Vous devez garder toujours à l’esprit que ce comportement bizarre et plein de contradictions est partagé par tous les Terriens. Ainsi, par exemple, voyez :
Sur les écrans, apparaissent des images insoutenables : Des Terriens mourant de faim alors que d’autres brûlent leurs récoltes ; Des humains qui meurent de soif à cause de la sécheresse ou bien meurent de froid dans les rues, puis des images de piscines et de gaspillage de chaleur dans des immeubles surchauffés ; Des hommes qui dépensent en une soirée ce que d’autres ne pourront jamais gagner en une vie.
L’assistance est atterrée. Pour la détendre un peu, le chef raconte quelques anecdotes et l’on voit alors des humains incapables de marcher dans la nuit sans lumière, ayant besoin d’escaliers pour monter les étages ou encore d’étranges et ridicules appareils pour communiquer – souvent mal - à distance.
-Vous voyez où ils en sont encore ! (Nouveau rire amusé )
-Et pourtant, regardez :
Apparaît alors un homme vêtu d’une robe et coiffé d’un chapeau pointu, sur le balcon d’un très grand et très bel immeuble, devant une foule innombrable, parlant un langage inconnu et accomplissant des gestes étranges.
-Voyez ceci : Ils nient notre existence et nos pouvoirs de télépathie ou notre capacité d’action à distance et pourtant, cet homme, - Ils le nomment « Le Pape » - ils lui reconnaissent des pouvoirs spéciaux puisque ces gestes et ce langage réservé à son usage exclusif - et à ses subordonnés directs – sont capables d’avoir une action à distance disent-ils. Ceux qui sont sur cette place se prosternent et reconnaissent ce pouvoir. Ils bénéficient donc d’une sorte de protection spirituelle, mais cette protection s’étend, en même temps, sur le monde entier pour ceux qui l’acceptent. Ils y croient et ils sont persuadés que cela fonctionne vraiment ! (Rires de l’assistance) Eh bien, cet homme, il n'a aucun pouvoir officiel et il n’est pas beaucoup écouté ! Il y en a quelques-uns comme cela dans le monde, sans plus de pouvoirs d’ailleurs. Je vous ai dit qu’ils étaient pleins de contradictions. Tenez, un autre exemple très différent : À ce moment-là, apparaît sur les écrans un avion sans signe distinctif.
-Ils nient notre existence parce qu’ils ne peuvent déceler notre présence, même au radar. Or ils ont découvert, eux aussi, des procédés qui permettent de camoufler des avions aux radars ennemis ou de dérégler ces derniers. Ils en sont fiers, mais n’en tirent pas la conclusion qui s’impose : Puisque nous, parce qu’ils ne nous voient pas, nous n’existons pas disent-ils, ces avions indécelables et invisibles ne devraient pas exister, n’existent donc pas ! ( Hochements de tête incrédules). On pourrait trouver mille autres exemples, mais le temps presse. On nous signale des sujets d’expérience accessibles à nos pouvoirs. Je vous recommande de la discrétion, de la prudence, je veux une intervention rapide et sûre. Bonne chance à tous.
Le petit module a quitté depuis quelques secondes à peine l’énorme vaisseau intersidéral. Déjà, sur l’écran de contrôle, apparaît une ville, puis un quartier, puis un immeuble. C’est le HLM 2059, bâtiment 22, escalier D, 4èm étage…. Et dans cet appartement, les choses ne vont pas très bien. La querelle s’envenime. Catherine, si docile d’habitude, se sent anormalement nerveuse et irritable.
-Mais enfin, quoi ! Je suis majeure ! J’ai dix-huit ans, oui ou non ?
-Majeure selon la loi, oui ! Mais tu te conduis comme une gamine. Tu as toujours cet argument à la bouche : Je suis majeure ! Mais tu ne le montre jamais ! Saleté de télé, tu vas voir qu’on en a pour toute la soirée !
L’appareil est juste au-dessus de l’immeuble et, sur l’écran de contrôle, on distingue très bien la pièce dans laquelle se déroule la dispute. On peut suivre les moindres détails.
Le deuxième occupant de l’engin avance d’un cran un curseur et un clignotant s’allume.
-Et puis, si tu ne peux plus supporter tes parents, puisque tu es majeure, vois, la porte est ouverte. On ne te retient pas ! Décidément, tout va mal aujourd’hui, même la télé. Y a plus d’image maintenant !
Dans l’appareil en forme de soucoupe, le deuxième occupant pousse le curseur d’un cran supplémentaire, puis d’un autre encore. La lumière ne clignote plus mais elle a augmenté d’intensité.
Catherine ne comprit jamais pourquoi elle répondit si sèchement à son père :
-Puisque vous me jetez dehors, alors je pars. Adieu !
Déjà elle était dans l’escalier et la porte avait claqué derrière elle. Passée le seconde d’étonnement, son père ne comprit jamais pourquoi il dit à sa femme :
-Laisse-la. Elle n’a que ce qu’elle mérite. On ne va pas lui courir après, c’est elle qui est partie. Elle ne reviendra ici que pour demander pardon, sinon qu’elle aille au diable !
Catherine allait tourner l’angle du bâtiment 23 lorsqu’elle vit la lueur. Il était trop tard. Les deux êtres étaient devant elle. Ils n’étaient pas verts du tout, ni hideux. Leur scaphandre avait des tons orangés, la partie transparente laissait apercevoir une peau très pâle et un regard si étrange que Catherine, malgré ses efforts, ne parvint pas à détourner les yeux.
Elle avait l’extraordinaire impression de marcher à coté d’eux (ou plutôt encadrée par eux) et d’avoir toujours leur regard fixé dans ses yeux.
Marchait-elle seulement ? Elle n’avait pas le sentiment de toucher le sol.
L’appareil s’éleva à une allure incroyable. Aussitôt, l’image réapparût sur les écrans de télévision.
Le surlendemain, on pouvait lire dans la presse :

Recherche dans l’intérêt des familles
On recherche Catherine, 18 ans, taille 1,65m, cheveux blonds mi-longs. A quitté le domicile de ses parents samedi dans la soirée. Elle était vêtue de….

On recherche Catherine, 18 ans, taille 1,65m, cheveux blonds mi-longs. A quitté le domicile de ses parents samedi dans la soirée. Elle était vêtue de….