La dame et le chevalier
Le chevalier bardé de fer,
Les yeux fixés sur la Grande Ourse,
Chemine, obstiné, vers l'enfer.
Le but de sa course est la course
Pour laquelle il a tant souffert.
Par une perversion subtile
S'acharne le preux chevalier.
Un conquérant de l'inutile
Est-il un fou qu'on doit lier ?
Un rêve n'est jamais futile.
L'émule obscur de Perceval
À la quête du Graal s'entête,
Parcourant le monde à cheval.
Et si le Graal c'était la quête ?
Je suis ce preux médiéval.
Sans hésitation ni murmure
Je poursuis des moulins à vent
Revêtu de ma blanche armure ;
C'eût été plus malin, avant,
De prendre deux doigts de bromure.
La Dame, en voyant le croisé,
A tressailli sur son passage.
Elle a tout le corps pavoisé
Mais n'osant pas n'être pas sage,
Elle demeure bras croisés.
Depuis si longtemps qu'elle espère
Que vienne le Prince Charmant !
Voici qu'enfin le charme opère :
Peut- être, il sera son amant...
Pensez-vous, que dirait son père !
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Il va poursuivre son chemin.
Belle, tu finiras par être
Peinée, au plus tard, dès demain,
De l'avoir laissé disparaître.
Si tu bougeais un peu la main...
Ton corps, par endroits, curviligne,
Mérite d'être regardé
De près; de ferveur il est digne.
Peut- être l'aurais-tu gardé...
Si tu faisais le moindre signe...
À qui revient le premier pas ?
Il aurait dû lever la tête,
Il n'en fit rien; Elle n'a pas
Fait davantage. Que c'est bête !
Ainsi court-on vers le trépas.
Le chevalier, près de la dame,
Est passé. Ils n'ont pas compris
Que, de nos jours, la grise trame
Ne se colore et n'a de prix
Qu'au péril de perdre son âme.
Quand, royal, parait le destin
Devant nous, pauvres que nous sommes,
Nous lui donnons un strapontin,
Bornés comme bêtes de somme
Qui tremblent pour leur picotin.
Ce pourrait être un badinage
L'histoire de ces deux héros
Tout droit venus du Moyen Age.
Cet amour réduit à zéro
C'est le nôtre. Ah ! le beau carnage !
John-William Waterhouse |